
Pour une langue digitale
04 juillet 2016À la une, Communication raisonnéeJ’ai lu dernièrement Le langage, l’entreprise et le digital, de Jeanne Bordeau. Styliste en langage, celle-ci milite pour la qualité de l’expression au travers de l’institut éponyme. Elle conseille les marques et les entreprises sur l’efficacité, la cohérence et le style de leur langage. Voici quelques réflexions sur la langue digitale, issues de la lecture de cet ouvrage …
Premier constat : une langue approximative
Le contenu est roi nous dit-on, tandis que la langue s’appauvrit et la syntaxe maltraitée.
Il n’empêche, la langue vit, de nouveaux mots fleurissent comme ‘écogeste’, ‘digitaliser’. Il importe qu’ils soient « efficaces, signifiants, voire émouvants ».
Si les anglicismes qui foisonnent dans la langue française sont à déplorer, réjouissons-nous : les mots français circulent aussi dans d’autres univers linguistiques : anglais, espagnol.
Jeanne Bordeau déplore également le fait que les entreprises travaillent avec une douzaine de verbes : pouvoir, devoir, mettre à disposition, proposer, intervenir, faciliter, finaliser et permettre, … Et c’est vrai !
Ces verbes sont assez pauvres, mais le constat véridique. Les sites des entreprises se ressemblent tous, tant dans les intitulés des menus, ‘nos produits, nos réalisations’, que dans les promesses faites à leurs clients, d’engagement pour le développement durable’ et de ‘mise en application de la RSE’.
La langue est contrainte dorénavant dans des gabarits pour harmoniser les discours : utilisation du présent (par peur de la projection ?), de phrases courtes sans subordonnées.
Cette réaction m’interpelle tout en la comprenant : en effet, au cours des formations en rédaction web que j’anime, c’est ce que je préconise : utiliser le présent. D’après moi, la langue digitale utilise le présent pour actualiser et ancrer dans le réel. Les phases courtes peuvent sembler restrictives, mais nécessitent de respecter la justesse du message. C’est au rédacteur qu’il appartient de rythmer son texte par des questions, des impératifs.
D’autre part, bon nombre de sites Internet utilisent un langage institutionnel, c’est-à-dire des tournures creuses, des phrases qui n’ont pas de valeur ajoutée. D’où l’intérêt de se tourner vers des phrases concises.
À ce sujet, je milite toujours pour l’écologie éditoriale.
La langue de l’entreprise : cohérence et cohésion
D’après Serge Papin, en entreprise, la langue juste repose sur : la cohérence -le faire ensemble- et la cohésion -pour fonder la confiance.
« Pour faire référence, il faut posséder une ligne éditoriale forte ». Le président de l’entreprise doit donner le ton. L’entreprise doit donc raconter son univers de manière juste et en se distinguant.
Travailler son positionnement est extrêmement important. C’est ce que je me plais à faire avec les entreprises, car au cours de cette démarche, elles recherchent leurs valeurs et leur essence. Selon moi, un des premiers travaux fondateurs de l’entreprise serait d’aller à la rencontre de l’éditorial.
Rien ne remplace la force et la puissance de l’expression de l’entreprise pour révéler sa stratégie et revendiquer sa valeur différenciante.
Stop le culte à Google et la recherche du mot clé le plus populaire pour son site. Quel intérêt de se retrouver noyé dans la masse au détriment d’un positionnement propre ?
Il s’agit d’arrêter l’aseptisation, de faire tomber les masques et de parler/écrire avec le cœur. La sincérité et l’émotion comme caractéristique première de la langue digitale, pour mieux toucher ses publics.
Notons d’ailleurs que 25% de la perception d’une marque vient du earned media, c’est-à-dire la répétition, le contenu généré par l’utilisateur. Pour qu’il génère du contenu, il est nécessaire de l’interpeller et de le toucher…
Quelques caractéristiques de cette langue digitale
- Collaborative – la langue digitale suscite la conversation
- Mouvante et émouvante, elle touche au cœur le consommateur. Ce n’est pas le produit qui est mis en avant, mais le consommateur.
- Démonstratrice – la langue digitale ne proclame pas, elle prouve.
- Synchronisée, il est possible de suivre n’importe quel événement en direct.
- Concise, il s’agit d’une performance linguistique qui amène à l’action en 50 caractères – tant mieux.
- Créative, Jeanne Bordeau cite Oasis et le « selfruit poarfait » – je pense aussi aux campagnes Uber papa, et autre ploufologue
Pour aller plus loin sur ce sujet, lire l’article la nouvelle langue numérique
Le digital est maitrisé quand l’entreprise sait « orchestrer ses contenus pour raconter une histoire pertinente et fonder une expérience à la fois sincère et séduisante ».
Bonne lecture et bonnes vacances !