Renoncer pour mieux communiquer

05 septembre 2023À la une, Sobriété éditoriale
Temps de lecture : 8 minutes

Mesurer pour comprendre les impacts environnementaux de sa communication, c’est bien. Mais, ce n’est qu’une étape. Il ne faudrait pas s’en arrêter là. Et si le point central d’une communication responsable était ne pas faire, voire même de renoncer ?
Sans que ce renoncement ne soit un échec ou provoque la dégradation de l’expérience utilisateur !

Voici un article qui vous propose d’envisager un renoncement heureux en communication.

1 – mesurer, pour se donner bonne conscience ?

« La communication responsable repose sur 4 piliers : les messages responsables, l’éco-socio-conception des supports, le dialogue avec les parties prenantes, l’efficacité et l’éthique des affaires. » définit le guide de la communication responsable de l’ADEME.

Plus loin, le guide explique que « la communication responsable est un processus systémique qui s’interroge autant sur les contenus que sur la manière de les délivrer. »

Une large partie de cette responsabilité, soutenue par l’écoconception, repose sur la mesure.

Alors, des tas d’outils se mettent en place :

  • certains en libre accès,
  • d’autres sur abonnement, très sophistiqué, avec un coût d’utilisation associé à la hauteur de la sophistication.

La mesure, c’est bien. Elle donne un point de départ à ne plus dépasser, pour réduire l’impact de ses actions.

On peut mesurer des impacts environnementaux et sociétaux, certains vont même jusqu’à mesurer la création de valeur ou l’impact des messages sur les représentations.

Bien sûr, mesurer est le premier pas pour rendre compte d’efforts fournis et renseigner un bilan carbone.

Attention, car un pas pourrait être vite franchi : s’autocongratuler avec des chiffres qui prouvent qu’on n’est pas trop irresponsables sans pour autant remettre en cause la pertinence de ses actions.

Et si la vraie question n’était pas tant de chercher à verdir ses actions qu’à transformer complètement sa communication ?

2 – Réduire, voire renoncer

Le renoncement est un mot qui peut faire peur. À certains.

D’autres, comme Alexandre Monin[1], nous l’expliquent simplement avec bon sens.

« Pour produire du chocolat en grande quantité, par exemple, il faut déforester. Certains vont chercher à déforester le moins possible, ou à compenser les externalités négatives de l’activité, en agissant une fois les dommages commis. Mais pourquoi chercher à rendre efficiente une activité qui a pour condition la déforestation ? On joue sur le volet tactique, et non sur le volet stratégique. Pourtant il va bien falloir questionner la finalité de nos activités. C’est tout l’enjeu du renoncement : travailler démocratiquement à fermer et rediriger certaines activités. »[2]

Alexandre envisage la redirection écologique pour « déterminer les technologies à abandonner et les infrastructures néfastes dont il faut se séparer ». Il parle également de « communs négatifs ».
Je précise : l’objet n’est pas de refuser la modernité, mais d’utiliser la technologie à bon escient en fonction de son utilité et de son devenir également. « Il faut donc identifier ceux qu’on veut conserver, pour arrondir le passage vers la soutenabilité forte. »

Loin d’une pensée radicalisante, appliquons ces préceptes à la communication.

Depuis 15 ans, tous les communicants sont biberonnés au calendrier éditorial et sommés de publier partout et régulièrement. Pour être visible.

Est-ce réellement pertinent lorsqu’une étude AHREFS [3] explique que 90% des pages du web n’ont aucun trafic.

Une étude de la Fondation Jean Jaurès[4] annonce que 53% des Français souffrent de fatigue informationnelle. Elle souligne également que 72% des personnes cessent de consulter les informations.[5]

À une époque où le burn-out est en passe de devenir la maladie du siècle, notre responsabilité de communicant ne serait-elle pas de réduire, voire de renoncer à certaines publications ? [6]

Car, à force de publier ad nauseam, nous sommes responsables de cette invisibilité des marques qui les poussent à communiquer plus, en vain.

C’est en ce sens que la sobriété éditoriale est un point central de la communication responsable, voire même un pré requis.

« Dans un contexte d’obésité informationnelle, l’approche par la sobriété éditoriale questionne les origines du dysfonctionnement.

En considérant le besoin, elle évalue l’intérêt d’un contenu au regard de son utilité pour le public et de son efficacité pour la communication de l’organisme.

Ralentir sa production de contenus, piloter leur cycle de vie, questionner l’efficacité et la pertinence de sa stratégie de publication, choisir le format le moins énergivore tout en préservant une expérience de qualité pour l’usager sont autant de bonnes pratiques à déployer pour, enfin, mettre en œuvre une communication responsable. »[7]

3 – Changeons nos manières de faire pour renoncer facilement

Si nous appliquons la grille de lecture de la sobriété éditoriale, pour chaque action de communication, appuyons-nous sur le triptyque utilité / efficacité / performance.

Utilité :

  • Est-ce utile pour remplir mes objectifs stratégiques ?
  • Est-ce utile pour mes publics ?

Concernant l’utilité du message pour les publics, il s’agit de vérifier si le contenu traite de l’un des 17 objectifs de développement durable (ODD).

C’est d’ailleurs ce que propose l’arbre décisionnel[8] mis au point par les Designers éthiques : réaliser un service numérique seulement s’il traite de l’un des 17 ODD ou apporte une réponse à l’une des 9 limites planétaires. Un bel écho également dans le Bon Digital : « le cœur du numérique responsable ou d’un design éthique reste de concevoir un numérique utile, donc d’éviter de concevoir des services inutiles ou pouvant fonctionner sans numérisation. (…) [Il s’agit de ] proposer un numérique utile et plus durable quand il est nécessaire, et une dénumérisation quand celle-ci devrait s’appliquer. »

Efficacité :

    • Est-ce efficace pour remplir mes objectifs stratégiques
    • Est-ce que cela aide mon public à réaliser son action ?

    Performance

    • Quelle est la solution technique la plus sobre pour le mettre en œuvre au regard de son efficacité ?

    Plus facile alors de jauger une action de communication avant de la réaliser.

    • Celles qui ont un fort impact environnemental, peu d’utilité ce qui signifie qu’elles apportent donc une charge mentale supplémentaire, et qui ont peu d’efficacité : facile d’y renoncer. La dénumérisation est alors évidente.
    • Celles qui ont un impact environnemental, aucune utilité pour mon public, mais me permettent de mettre en avant ma structure : le sujet est délicat, mais sans doute envisageons-nous d’y renoncer. Du moins en partie. Par exemple, pour la communication financière, réservons ces données aux communiqués de presse et non aux réseaux sociaux. Et observons le résultat ou ce qui a changé.
    • Celles qui ont un impact environnemental fort, mais qui permettent de changer le monde et les visions, alors nous pouvons décider de les faire en toute conscience.

    À ce moment-là, nous pouvons écoconcevoir le message, réfléchir à sa durée de publication.

    Supprimer

    Prenons l’exemple du Département de l’Ain que j’ai accompagné. Lorsque nous avons décidé de « nettoyer » le site de contenus obsolètes, nous avons supprimé 60% des actus en ligne. Après une chute de trafic le premier mois, la fréquentation est revenue à environ 10% du total des visites du site. Une légère perte (moins de 1%) souligne qu’il s’agit d’actus de faible intérêt.

    Décider de ne pas faire

    J’ai accompagné plusieurs structures à réduire par deux l’envoi de newsletters. Le taux de lecture est resté inchangé. Aucun client n’a appelé pour demander plus de communication.

    Renoncer

    N’ayons plus aucun scrupule à renoncer à une action de communication.
    Combien d’entreprises annoncent quitter Twitter ou autres réseaux sociaux ? Ont-elles vu pour autant leur intérêt décroître ? Je pense notamment à la marque de cosmétiques Lush qui a renoncé aux réseaux sociaux à la veille de Noël. Ses ventes n’ont pas pour autant chuté.

    Il s’agit, bien sûr, de ne rien supprimer qui aurait une importance stratégique et surtout d’expérimenter, par petits pas, et avec constance.

    Mesurer autrement

    Et si on mesurait ce que l’on fait en moins ? Moins d’articles produits, plus d’articles recyclés ? Plus d’articles supprimés, plus d’articles fusionnés ?

    Renoncer cela demande plus d’imagination, de faire différemment pour créer une nouvelle communication. Mais n’est-ce pas le mot d’ordre de notre époque ?

    Vous l’aurez compris, l’objet de cet article est de vous inviter à remettre en cause la production de contenus. Pour ne plus communiquer par habitude, mais pour porter une réflexion stratégique et gagner en envergure.

    Pour aller plus loin, le livre Sobriété éditoriale : 50 bonnes pratiques pour écoconcevoir vos contenus web[9] vous guide pour réfléchir à la pertinence de votre publication de contenu.

    Il est assorti d’une liste de règles de validation en libre accès pour évaluer la maturité en sobriété éditoriale de votre site.

    Retrouvez toutes les infos sur le livre et sur la liste de règles : www.sobriete-editoriale.fr

     

    [1] Il vient de publier Politiser le renoncement (Divergences, 2023)

    [2] Fermetures, redirections : comment renoncer sans reculer, Entretien avec Alexandre Monnin, Propos recueillis par Athénaïs Gagey, 23 juin 2023

    [3] 90.63% of Content Gets No Traffic From Google. And How to Be in the Other 9.37% [New Research for 2020]

    [4] Les Français et la fatigue informationnelle. Mutations et tensions dans notre rapport à l’information, septembre 2022

    [5] Note : Les chiffres cités concernent le digital dans lequel il est plus facile d’obtenir des chiffres, néanmoins le raisonnement s’applique à la communication tous supports.

    [6] Dérèglement informationnel : la part du communicant

    [7] Découvrir la sobriété éditoriale

    [8] Quand faut-il numériser ?

    [9] Sobriété éditoriale : 50 bonnes pratiques pour écoconcevoir vos contenus web, Ferréole Lespinasse, 2022

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